L'étonnant destin des 37 Dia cédés à Gastt
La vente de 37 magasins Dia au groupe Gastt se complique. Le repreneur, d'origine polonaise, n'a toujours pas versé le salaire de juillet aux employés. Mais il maintient qu'il ne souhaite pas liquider le parc et présente un projet d'enseigne original, plutôt séduisant, axé sur le frais trad. L'enquête de Linéaires.
Tous les sites, d'abord, n'ont pas été repris en une seule fois par Gastt. Certains salariés ont été laissés dans le flou et se sont logiquement alarmés. Dans l'Oise, par exemple, un "blocage administratif" n'aurait toujours pas permis la cession de plusieurs magasins, repoussée à septembre.
Inquiets à la perspective de quitter un grand groupe pour une petite société inconnue (Gastt n'est pour l'heure qu'un grossiste polonais qui exploite trois épiceries fines à Paris), les salariés des Dia cédés ont ensuite découvert que la nouvelle enseigne Okey lancée par Gastt (voir ci-dessous) fonctionnerait en franchise, accentuant ainsi leur crainte d'isolement.
Sur les 37 Dia ciblés par Gastt, quelques sites (sans doute trois ou quatre) sont trop petits (300-400 mètres carrés) pour adopter le futur concept Okey. Ils pourraient alors être exploités en franchise sous une enseigne classique de proximité.
Mise à jour du 25/08/2016 La première vague de reprise de magasins Dia par Gastt ne concerne en réalité que 8 points de vente. 32 autres sites, selon FO, sont toujours "en attente de cession". Le 25 août, plusieurs sources syndicales rapportent la tenue d'une réunion téléphonique interne, chez Carrefour, laissant entendre que les magasins en attente pourraient ne pas être finalement vendus à Gastt. D'autres repreneurs seraient recherchés. |
"La police est venue"
Le 19 août, les salariés de plusieurs magasins parisiens ont été convoqués à une réunion extrêmement tendue avec Adam Kuzmicz, le président de Gastt. C'est là qu'ils ont appris que les fonds correspondant au versement de leur salaire de juillet étaient bloqués.
"La police est venue sur les lieux à l'appel des salariés, qui sont tous allés porter plainte au commissariat", rapporte FO. Le syndicat n'hésite pas à parler "d'escroquerie", accusant Carrefour de "légèreté coupable" dans le choix du repreneur. Un forum, sur Facebook, commence à rassembler les ex-Erteco (la filiale de Carrefour qui gérait le parc Dia) mécontents.
Pour ne rien arranger, un nouvel entrepreneur, Pierre-Edouard Traska, s'est présenté aux salariés comme partie prenante dans ce dossier aux côtés d'Adam Kuzmicz. Or cet homme d'affaires traîne une drôle de réputation sur internet, son nom apparaissant dans diverses affaires de liquidations d'entreprises parfois suspectes.
Le 22 août, une délégation d'ex-Erteco employés par Gastt a été reçue par Carrefour. FO a réclamé au distributeur la réintégration de tous les salariés au sein du groupe. Carrefour aurait promis de faire connaître sa décision d'ici le 25 août.
"Ça fait deux ans que je travaille sur ce dossier, confie pour sa part Adam Kuzmicz à Linéaires. Il y a un vrai projet de lancement d'enseigne à la clé. Depuis deux ans, Carrefour a pu tout surveiller, tout vérifier, pour s'assurer que j'étais un repreneur sérieux."
Okey, une franchise à mi-chemin entre Grand Frais et un magasin de producteurs
Pensé pour des surfaces de 800 à 1200 mètres carrés, le concept Okey est original. Les magasins doivent être repris par des franchisés, mais les rayons traditionnels (à commencer par la boucherie et les fruits et légumes) seront laissés en concession à des structures spécialisées.
"Nous allons créer pour chacun de ces rayons des coopératives dans lesquelles vont entrer des opérateurs de la filière, annonce Adam Kuzmicz, le président de Gastt. Pour la boucherie, par exemple, des éleveurs, des abattoirs et des transformateurs seront actionnaires."
Ces coopératives géreront au plus près les rayons trad d'Okey, avec une logique d'approvisionnement en circuit court et des professionnels employés en direct (ils ne seront pas salariés par le franchisé mais par la coopérative).
Gastt prévoit ainsi de former chaque année de nombreux apprentis aux métiers de bouche. Des apprentis qui par la suite pourront gérer des rayons d'Okey ou monter un commerce spécialisé fonctionnant comme le "satellite" d'un magasin. "Nous accompagnerons par exemple des jeunes pour ouvrir des petites boucheries dans les villages aux alentours d'un magasin Okey", prévoit Adam Kuzmicz, qui se voit comme un acteur de la "renaissance du commerce traditionnel".
L'ouverture du premier magasin Okey, initialement programmée avant l'été à Rambouillet (78), a été repoussée ("le site nous sert de laboratoire"). Une première vague de huit magasins de la région parisienne, annonce l'entrepreneur polonais, devrait être inaugurée en septembre.
Le choix de Gastt avait été validé tant par Carrefour que par l'Autorité de la concurrence. Comme à chaque fois dans ce type de cession, avant l'approbation de la transaction, un mandataire indépendant a évalué en détail les conditions de reprise proposées par Gastt. Contacté par Linéaires, le mandataire n'est pas sorti de son devoir de réserve sur le sujet.
Du côté de l'Autorité de la concurrence, on confirme que le repreneur "présentait toutes les conditions requises pour financer et exploiter les points de vente". Mais l'Autorité, alertée directement par des représentants d'ex-Erteco, se dit aussi "préoccupée par la situation des salariés" et désireuse de "suivre de très près" le dossier.
Adam Kuzmicz confirme un blocage de fonds ("en Allemagne") qui ne lui a toujours pas permis de verser les salaires de juillet à ses employés. Il promet de régulariser la situation "dans la semaine". Il se défend d'être un patron fantôme en rappelant que la paie de juin, elle, avait bien été versée et que sa mutuelle est "plus avantageuse que celle de Dia".
Quant à Pierre-Edouard Traska, il ne serait qu'un simple consultant dans cette histoire. "Je l'ai connu quand il s’occupait de Leclerc en Pologne il y a vingt-cinq ans. C'est un "collègue", il m'a donné quelques conseils, ça s'arrête là, tranche Adam Kuzmicz. Il n'est impliqué ni financièrement ni juridiquement dans le projet."
Qui est Adam Kuzmicz, le président de Gastt ?
Les activités du groupe Gastt se résumaient jusqu'à présent à son métier de grossiste, un service traiteur de spécialités polonaises et l'exploitation d'un petit réseau d'épiceries fines polonaises à Paris : trois magasins à l'enseigne Syrenka ("sirène", en polonais).
Adam Kuzmicz se présente comme l'associé, dans les années 1990 et 2000 en Pologne, de Waldemar Nowakowski, avec qui il a créé l'enseigne Lewiatan (une chaîne de magasins de proximité qui compte près de 3000 points de vente franchisés).
Aujourd'hui, en France, Adam Kuzmicz et Waldemar Nowakowski dirigent conjointement l'entreprise Maxtrade, créée en 2015 et spécialisée dans le commerce de gros.
La liste des Dia ciblés par Gastt
Linéaires a pu reconstituer la liste quasi complète des points de vente Dia visés par Gastt :
- Belley (01)
- Marseille La Calade (13)
- Marseille Madrague (13)
- La Chaussée-d'Ivry (28)
- Avesnes-sur-Helpe (59)
- Bachant (59)
- Hazebrouck (59)
- Lannoy (59)
- Lille Moulinel (59)
- Marquette-les-Lille Lalau (59)
- Roncq (59)
- Socx (59)
- Tourcoing Houpline (59)
- Tourcoing Schuman (59)
- Villeneuve-d'Ascq (59)
- Beauvais (60)
- Breteuil-sur-Noye (60)
- Gouvieux (60)
- Margny-lès-Compiègne (60)
- Bruay-La-Buissière (62)
- Bourecq (62)
- Drocourt (62)
- Wingles (62)
- Flers-en-Escrebieux (69)
- Lyon Lumière (69)
- Paris Clichy (75)
- Paris Dejean (75)
- Paris Magenta (75)
- Pontault-Combault (77)
- Savigny-Le-Temple (77)
- Rambouillet (78)
- Villiers-Saint-Frédéric (78)
- Chilly-Mazarin (91)
- Andilly (95)
- Argenteuil (95)
Mise à jour du 25/08/16 : les sites en gras sont ceux déjà repris par Gastt (source FO).