« On peut imaginer que le covid-19 soit reconnu comme une maladie professionnelle »
Les règles à appliquer pour lutter contre la propagation du coronavirus paraissent claires… en théorie. Sur le terrain, c’est une autre affaire et nombre de situations vécues en magasins ne rentrent pas dans les cases. Points de vigilance, risques encourus : entretien avec Franck Maréchal, avocat en droit social chez PwC.
Aujourd’hui, les mesures à mettre en place pour lutter contre la propagation du coronavirus paraissent claires. Reste-t-il des zones d’ombre ?
En effet, s’il y a bien un point de vigilance, c’est d’être au fait des obligations à date. Nous avons tous constaté une période de flottement au cours de laquelle les magasins étaient informés, mais pas équipés. La grande distribution a réagi très rapidement, contrairement à d’autres commerces plus petits, qui ont peut-être rencontré des difficultés à se faire livrer le matériel de protection nécessaire. Il est donc possible que certains employés aient pu être contaminés pendant cette période.
En cas de contentieux, l’intégralité de la période sera étudiée pour établir une éventuelle responsabilité : quelles étaient les mesures obligatoires, étaient-elles appliquées ou non ? À partir du moment où l’employeur a fait de la prévention via de l’affichage, modifié son document unique d’évaluation des risques professionnels, s'est assuré de la mise en place et du respect des mesures barrières et que les procédures sont connues de tous, les principaux écueils sont évités.
Concrètement, comment un employeur peut-il savoir quelles sont ses obligations dans le contexte actuel ?
Sur ce point, outre les dispositions du Code du travail connues de tous, le ministère du Travail a publié au fur et à mesure sur son site des guides, des questions/réponses et des fiches métiers établies par branche professionnelle, en vue de gérer la poursuite de l'activité ou d’anticiper sa reprise. Les organisations professionnelles ont également beaucoup travaillé sur la question. Il convient donc, à minima, de consulter régulièrement les éléments publiés en ligne.
Quelles sont les sanctions réellement encourues par les employeurs ?
Nous répondons à une somme de situations particulières. Les questions posées à ce stade portent plus sur des sanctions possibles pour non-respect des règles, sur des demandes d’aménagements ponctuels ou évolutions de poste en raison du contexte, par exemple. Autant de situations pour lesquelles nous recommandons le consensus.
D’autant que pour l’heure, aucune affaire n’a encore été jugée. Difficile donc de mesurer les risques et les incidences financières encourus à date. Lorsqu’une ou deux plaintes ou recours auront donné lieu à des condamnations, cela va forcément inciter certains à procéder de même. Cela vaut la peine d'anticiper.
D'autres conséquences sont-elles à envisager ? La CGT porte plainte contre Carrefour et Muriel Pénicaud suite au décès d’une employée. Des cas similaires pourraient-ils se multiplier ?
On peut imaginer que le covid-19 soit reconnu comme une maladie professionnelle, voire qu'une procédure pour faute inexcusable de l’employeur soit engagée. Pour ce faire, il faut qu’une demande soit formulée en ce sens et qu'une enquête ait lieu. Aujourd’hui, il n’y a d’automatisation que pour le personnel soignant.
Mais les choses pourraient changer, pour la distribution comme pour toutes les professions en contact direct avec les clients. Et ce serait un caillou dans la chaussure pour certaines branches professionnelles ou grandes entreprises selon le nombre de contaminations intervenues. Dans ce cadre, on ne débat plus sur le fait que l'affection ait un lien direct et essentiel avec le travail !
Cela n'étant qu'une hypothèse à ce jour, les entreprises doivent aujourd'hui prendre au plus tôt toutes les mesures de prévention et s’assurer qu’elles soient bien appliquées. Car au-delà de la question financière, il y a le risque pénal encouru, qui n'est pas à négliger. Comme c’est le cas dans l’affaire qui vise l’enseigne Carrefour et Muriel Pénicaud.
Dans un autre registre, certains employeurs souhaitent récompenser leurs employés par la prime Macron, mais estiment que certains ont été plus impliqués que d’autres. Est-il possible de moduler cette prime ?
Le ministère du Travail a en effet précisé qu'il était possible d'exclure de la prime certains salariés, même ceux ayant travaillé pendant cette période. Cela me semble très risqué.
Je préconise aux employeurs de passer par la voie d’un accord collectif, de ne pas écarter de salariés de la perception de la prime et de privilégier une modulation des montants versés selon des critères objectifs. Cela permet de se prémunir au maximum de contentieux ultérieurs pour discriminations ou inégalités de traitement et de préserver son climat social.