« Gérer un plan commercial c’est comme un train à grande vitesse qu’il est difficile de freiner », image Elisabeth Cony, fondatrice de Madame Benchmark. Certaines enseignes ont en effet essuyé quelques déconvenues en matière de prospectus après la mise en confinement de la France. La plus grosse boulette revenant à Castorama, lequel inaugurait le 18 mars un catalogue sur la thématique « Vive dehors ! » avec en page de garde un salon de jardin baptisé Corona. Il fallait le faire…
De la même façon, Leclerc s'est révélé lui aussi bien incapable de retenir son prospectus hebdomadaire, « Des promos al dente », autour d’une offre de pâtes et accompagnements, alors que les rayons étaient dévalisés.
Durant la semaine du 16 au 22 mars, les catalogues ont été partiellement distribués, jusqu’à l’arrêt complet de la diffusion en boîte à lettres par les deux prestataires leaders. D’abord Mediapost, puis rapidement après Adrexo.
Aldi et U arrêtent tout
Côté enseignes, Aldi a été le premier à suspendre purement et simplement ses tracts, en le précisant ouvertement sur son site internet. « C’est l'avantage de ne pas être engagé auprès de marques nationales, explique Elisabeth Cony. Pour les autres, il est préférable d’assurer la publicité des unités de besoin en digital afin d'honorer les contrats avec les fournisseurs, même si la diffusion n’est pas aussi puissante que via le tract. Les distributeurs pourront toujours invoquer le cas de force majeure. »
Depuis le 26 mars, les magasins U sont aussi privés de catalogue, papier évidemment, mais également digitaux. L’opération démarrée le 24 mars sur la thématique « Mission coup de propre », avec onze pages pour nettoyer sa maison, était pourtant d’actualité, sans le vouloir. « L’arrêt est prononcé jusqu’à mi-mai, explique un associé U. Cependant les points de vente qui le souhaitent peuvent activer quand même la promo en magasin, à condition d'avoir la marchandise bien sûr. » Le commerçant observe que son taux de promo a dégringolé à 5% cette semaine, 6,5% la précédente, contre 15% du CA lors des bons prospectus.
A tout prendre, c'est au moins bénéfique pour la marge d'exploitation. « Dans le contexte actuel, les clients ne viennent pas en magasin à la recherche des promotions », confirme Virginie Brunet, directrice commercial d’a3distrib.
Auchan et Cora plus réactifs
De nombreux distributeurs se sont rabattus sur le digital, mais sans rien faire de plus. « Les opérations sont pour l’essentiel toutes maintenues, en revanche il y a moins de déclinaisons régionales qu’à l’accoutumée », observe Virginie Brunet. Et pour l’énorme majorité, le contenu des catalogues ne reflète absolument pas l'offre réelle en rayons.
Intermarché a caviardé ses derniers tracts en ligne, laissant de grands blancs assortis de la mention "produit indisponible". Mais c'est Auchan qui aura été le premier à s’adapter vraiment, dès son prospectus digital du 25 au 31 mars. Une version allégée de 14 pages, contre 50 en moyenne habituellement, ponctuée de messages de sécurité.
Cora vient de lui emboiter le pas dans son prospectus du 31 mars avec une thématique « Vos courses en toute confiance ». Sur les 20 pages du catalogue digital, 7 sont consacrées au soutien des filières agricoles, au rappel des mesures sanitaires des magasins ou encore au traitement prioritaire réservé au personnel soignant. Dix autres pages sont dédiées à l’offre des rayons trad, délaissés par les consommateurs.
Chez Leclerc, les ajustements sont à venir et s’annoncent plus modestes. Le 23 mars, Michel-Edouard Leclerc s’était exprimé sur Twitter à ce sujet : « tous les prospectus Leclerc donneront la priorité à l’origine France ; modification des catalogues en cours, ajouts de produits français programmés. »
Deux à trois semaines minimum pour la relance
Le bruit a couru que Mediapost et Adrexo envisageaient une reprise de la distribution des prospectus très prochainement. Une information néanmoins démentie par les intéressés. « Quand bien même les diffuseurs de tracts reprendraient leur activité, pas sûr que les distributeurs suivraient, estime Virginie Brunet. Face à la gestion du quotidien, la stratégie promotionnelle ne semble pas d’une priorité extrême. »
Pour les imprimeurs, maillon essentiel de la chaîne, la situation est difficile à gérer. Les plannings sont bousculés, le personnel en activité partielle. « La profession était déjà mise à mal depuis quelques années, il est à prévoir que certains opérateurs mettent la clé sous la porte, regrette Elisabeth Cony. Et quand bien même l’autorisation de diffuser les prospectus serait redonnée, il faudrait deux à trois semaines pour relancer la machine. »
Les créatifs, eux, sont aussi sur le pont. « Pendant les premiers jours qui ont suivi l’annonce du confinement, les équipes ont dû gérer dans l’urgence l’arrêt de la diffusion, explique le gérant d’une agence de communication. L’heure est maintenant à l’adaptation des thématiques des tracts et à la préparation de l’après-confinement, car les messages devront être adaptés. »