Ce que "Le 4" dit des projets de Casino
En ouvrant "Le 4" à deux pas des Champs-Élysées, Casino se dote d'un véritable laboratoire du commerce. Mais pour hors normes qu'il soit, le concept store parisien en dit long sur les projets du distributeur et sur la façon dont il voit son métier évoluer. Le décodage de Linéaires.
Il aura fallu seulement quatre mois pour monter le projet "Le 4". Moez Zouari, premier masterfranchisé du groupe Casino (plus de 500 magasins dans toute la France), avait déniché un emplacement de choix au 4 avenue Franklin Roosevelt, sur 400 mètres carrés. Avec le projet, au départ, d'en faire un juteux petit supermarché, dans un profitable quartier touristique. Mais l'arrivée fanfaronne de Leclerc sur Paris au printemps dernier, la fascination de l'ensemble de la profession (y compris son propre groupe) pour Amazon et le désamour des chroniqueurs de tout poil pour le bon vieux "carrelage" l'ont piqué au vif.
L'idée a émergé d'en faire un point de vente expérimental, premium et international (le quartier le permet), sans enseigne classique (elle fait juste référence à son adresse), conjuguant la chaleur humaine du commerce et la fluidité des nouvelles technologies. Casino a sauté sur l'occasion, trop heureux de démontrer là son expertise (et son avance) en matière de distribution urbaine. Et pas fâché non plus de parler d'autre chose que de crise boursière ou de cession d'actifs.
Les deux partenaires n'ont pas chômé, dessinant leur concept en un temps record. Depuis l'ouverture du "4", le 3 octobre, les journalistes se bousculent (jusqu'aux télés étrangères !) pour découvrir ce magasin du futur en version frenchy.
Il faut dire que la copie est belle, tenant la dragée haute (à l'échelle de ses 400 mètres carrés) à un Lafayette Gourmet ou un Eataly. "Le 4" hybride tout ce qui marche aujourd'hui dans le commerce alimentaire : le premium (mais sans référence extravagante), la restauration sur place (une soixantaine de places assises), les artisans de renom qui signent les spécialités au comptoir (Christophe Michalak, Angelina, etc.). Sur 400 mètres carrés, on ne lui reprochera pas l'absence de fait maison.
"Le 4" est un laboratoire, dans lequel le distributeur s'autorise de multiples audaces. Elles ne sont pas toutes convaincantes in situ (en particulier les nouvelles technologies) et elles ne seront pas non plus toutes duplicables. Mais à travers ces expérimentations, le distributeur s'engage dans des directions nouvelles, qui sont autant de signaux sur l'évolution du métier de Casino (et, sans nul doute, de ses concurrents).
1. Une nouvelle construction de l'offre
Casino l'avait déjà fait avec Franprix Noé, il l'expérimente de nouveau avec "Le 4". Il se montre extrêmement sélectif dans la construction de son offre. Les grandes marques nationales doivent mériter leur place et n'ont parfois droit qu'aux étagères du bas.
Les PME sympas, qualitatives et/ou branchées sont à l'honneur, de même que les MDD du groupe, tous réseaux confondus. Guichard Perrachon et Franprix se côtoient aujourd'hui au "4" et Monoprix Gourmet devrait se joindre au concert dans les deux mois qui viennent.
Moez Zouari se fait fort, également, de rentrer des marques qui ne travaillent pas (ou peu) avec la grande distribution. Elles ont un statut "d'invitées" (comprendre : une place extra large en linéaire) et, si l'aventure se passe bien, feront ensuite leurs premières armes dans de "vrais" magasins. Y compris, pourquoi pas, les pâtisseries de Christophe Michalak.
Le distributeur, ici, reprend ses habits de commerçant en construisant une offre sélective pour ses clients. Offre qui évidemment souffrira moins la comparaison avec les marques nationales (au prix de l'hyper) des drives piéton que Leclerc et Carrefour veulent multiplier dans la capitale.
2. Une expérience client riche, mais rentable
Le produit phare du comptoir de restauration ? Le croque-monsieur. Le rayon dans lequel le distributeur investit dans du conseil en front de vente ? La cave. Point commun : la rentabilité de l'opération. Le croque-monsieur, un classique de la bistronomie française, se prête aux déclinaisons… généreusement margées. Deux artisans invités (un chef japonais spécialiste du pain de mie, une sandwicherie branchée) livrent chaque matin leurs recettes, vendues jusqu'à 18,90 euros pièce. Sur place, n'importe quel serveur de restaurant sera capable de les réchauffer avant de les servir avec une salade.
En banlieue et en province, en s'affranchissant du parisianisme bobo, il est facile d'imaginer les comptoirs restauration de Géant Casino s'enrichir d'une offre de croque-monsieur un peu sophistiquée, à des tarifs plus raisonnables mais toujours rentables.
Le rayon vins est un autre point fort du "4". Truffé de gadgets technologiques, il est surtout tenu par deux cavistes à temps plein, qui se relaient pour conseiller les clients. A 20 euros le prix moyen du flacon, l'investissement en personnel se justifie plus facilement qu'à un stand charcuterie (les rayons coupe sont d'ailleurs absents du "4"). Il n'aura pas fallu 48 heures pour qu'une première bouteille à 350 euros soit vendue !
Un étage complet, enfin (sur les trois niveaux que compte le magasin) est laissé à Cdiscount, qui ouvre là son premier showroom dans la capitale. Mais un showroom vivant, avec des canapés qui invitent à s'installer, un espace chaleureux de "coworking" et même quelques micro-ondes. Bref, l'endroit cumule habilement les vocations : le showroom concédé à Cdiscount est aussi un lieu de vie pour "Le 4".
3. La technologie décomplexée
"Le 4" est un magasin sans caissière, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et truffé de caméras qui surveillent les clients en vue de supprimer bientôt, comme chez Amazon Go, l'étape du scanning. Le fantasme de certains distributeurs (et le cauchemar de certains opposants) devient réalité !
L'application mobile Casino Max peut gérer l'ensemble du parcours des clients connectés. Depuis l'ouverture des barrières à l'entrée quand le magasin se vide de son personnel après 22 heures (hormis les vigiles) jusqu'au paiement mobile, en passant par le self scanning dans les rayons. Les touristes chinois adoptent d'autant plus facilement l'appli qu'elle est compatible avec Alipay et Wechat. Les clients moins connectés se rabattront sur les caisses libre-service "à l'ancienne".
4. De nouveaux terrains de chasse
Ce n'est pas un hasard si "Le 4" se donne des airs de Lafayette Gourmet ou d'Eataly. Idéalement placé pour attirer les touristes, le concept store se pose en vitrine du bon goût alimentaire français. Un job qu'il pourrait facilement assurer dans d'autres quartiers parisiens et aussi… à l'étranger. La perspective ne serait pas pour déplaire au distributeur.
La flopée de nouvelles technologies testées dans le magasin, également, ne doit pas être jugée seulement à l'aune de son efficacité au "4". Le "mur digital", ainsi, n'arrivera sans doute pas à convaincre beaucoup de clients de passer commande pour se faire livrer leurs courses alors qu'ils ont déjà fait le déplacement jusqu'au magasin. Mais ces écrans seraient autrement plus utiles, par exemple, sur les quais du métro ou dans le hall d'une gare, pour des clients qui trouveraient là une façon d'occuper leur temps d'attente.
La borne "ok Max", non plus, ne rend pas un service ébouriffant quand elle propose de localiser ses céréales préférées dans un magasin de proximité. Dans un hyper ou un Monoprix de bonne taille, ce serait déjà plus intéressant. Mieux : la commande par la voix de la borne, greffée directement sur la technologie de Google, participe aussi à l'apprentissage qui permettra à Casino de lancer (bientôt) sa propre appli vocale.