Social : du hard, rien que du hard
Des pratiques d’un autre âge ! En menant une enquête sur la politique sociale des enseignes de hard-discount, la rédaction de Linéaires a mis à jour des techniques de management qui dépassent l’entendement. Certes, la publication fin 2004, par le syndicat allemand Ver.Di, d’un pamphlet sur Lidl avait permis de pointer les conditions de travail déplorables imposées aux salariés de l’un des rois du discount outre-rhin. Mais on pouvait penser les points de ventes hexagonaux à l’abri d’un recours généralisé à de telles méthodes.
Las ! Tous les casseurs de prix semblent aujourd’hui avoir franchi la ligne rouge du « socialement incorrecte ». « Ce livre correspond aussi bien à la réalité allemande qu’à la réalité actuelle des magasins français», précise ce délégué centrale CFDT chez Lidl.
Intimidation, fouille au corps, vidéo-surveillance, licenciements à la pelle, heures supplémentaires non-payées, cadences infernales, etc. « Les discounters s’appuient aujourd’hui sur un mode de fonctionnement qui date du siècle dernier », dénonce Alexis Meatthey, délégué CFE/CGC chez Aldi Marchés. Le droit du travail est bafoué tous les jours. » Ambiance.
Economies sur les frais de personnel
Face à cette situation tendue, les mouvements sociaux se multiplient à l’appel des organisations syndicales : grève, débrayage en magasin, blocus des entrepôts, etc. « Depuis deux ans, nous assistons à une course aux implantations qu’il faut nécessairement financer, souligne Myriam Boudouma, déléguée CFE/CGC chez Ed, filiale du groupe Carrefour. Cette politique se traduit sur le terrain par des économies drastiques au niveau des frais de personnel. »
A commencer par les heures supplémentaires. Elles sont rarement payées, parfois placées sur un compte de récupération. Les sous-effectifs chroniques contraignent les salariés à travailler une à deux heures de plus chaque jour. « Comment voulez-vous y arriver quand pour gérer votre magasin de 700 m2, vous ne disposez que de trois collaborateurs ? », interpelle ce responsable d’un Aldi en région parisienne. Des 35 heures hebdomadaires légales, un agent de maîtrise peut effectuer au final jusqu’à 45 h par semaine. Pour un responsable de magasin, ce chiffre frôle les 70 h, soit bien plus que ne le stipule son contrat !
A la limite de la perversité
L’hyper-productivité et la polyvalence sont de rigueur dans tous les magasins. Un matin caissier, l’après-midi manutentionnaire ou femme de ménage, un salarié doit être capable de s’adapter à toutes les situations et surtout de ne pas perdre son temps. Il faut dire que les hard-discounters s’appuient sur des mécanismes de bonification judicieux pour inciter leurs collaborateurs à « faire des heures ».
Par exemple, la prime de productivité n’est versée que si le ratio « chiffre d’affaires / nombre d’heures travaillées » est atteint par le magasin. Chez Ed, cela correspond à la fameuse VHT, la valeur par heure de travail. Chez Aldi, on parle de VHP, valeur par heure de présence. « Les objectifs sont tellement élevés que cela pousse les employés à ne pas déclarer toutes leurs heures afin de pouvoir toucher les bonus », précise ce délégué syndical.
La modification au dernier moment des plannings ou des dates de congés payés est également devenue monnaie courante. « Les directeurs de magasin sont aujourd’hui de simples exécutants, s’exclame ce délégué CGT. Ils ne bénéficient plus d’aucune responsabilité ni implication dans la gestion humaine ou financière du magasin. Tout est désormais imposé et piloté au niveau régional par les chefs de vente. »
Et gare à celui qui ose se plaindre. Lors d’un entretien préalable au licenciement pour insuffisance de gestion, un responsable de supermarché Aldi s’est vu rétorqué, lorsqu’il a argumenté débuter ses journées à 6 h du matin, qu’il n’avait qu’à venir une heure plutôt. Chez Ed, des directeurs déclarant, sans accord préalable du chef de secteur, leurs heures supplémentaires, se sont vus infliger un avertissement. Avec menace d’une mise à pied en cas de récidive.
Et les pratiques douteuses ne s’arrêtent pas là. De tous les casseurs de prix, c’est sans conteste Aldi la championne d’Europe du « socialement incorrecte ». Les procédures instaurées de manière officieuse dans cette enseigne sont à la fois illégales et à la limite de la perversité.
La plus fameuse, baptisée le « test caddie », consiste à piéger un salarié qui travaille en caisse en essayant de passer un paquet de jambon sans le payer. Réalisé par un jeune nouvellement embauché (voire par les épouses des cadres supérieurs !), ce test permet de s’assurer que la caissière effectue son travail de contrôle de fouille des clients. Si elle se met en faute, l’hôtesse est alors mise à pied et une procédure de licenciement pour non-respect des consignes est engagée à son encontre.
« Tout le système Aldi est basé sur la suspicion, confirme ce délégué CFE/CGC. L’entreprise recrute peu d’étudiants, d’intérimaires ou de CDD car ils coûtent trop cher et sont considérés comme des personnes plus aptes au vol.» Autre exemple, les téléphones des magasins sont codés. Seule une liste de numéros pré-enregistrés est disponible : secours, direction régionale, et surtout celui de chaque employé afin de pouvoir les appeler au pied levé pour palier l’absence d’un de leurs collègues.
Fouille des coffres de voiture
La procédure dite de « contrôle de fin de sortie » tend également à se généraliser partout. Elle consiste à réaliser une fouille systématique des employés et de leurs effets personnels à la fermeture du magasin. « Certes, comme partout, des salariés peuvent commettre des abus, reconnaît Myriam Boudouma. Toutefois, est-ce normal qu’un vigile demande à une caissière de soulever son t-shirt pour s’assurer qu’elle ne dissimule pas une plaque de saumon ? »
Chez Lidl et Aldi, on a rajouté des inspections surprises des chefs de secteur ou de réseau pour vérifier, en fin de journée, l’état du magasin, de la démarque et du coffre fort. « Même le coffre de la voiture du responsable est même ouvert pour contrôler qu’il ne contient pas de nourriture ou d’argent volé », ajoute un syndicaliste.
Le flicage est devenu un véritable sport national pour les enseignes de hard-discount. Dernier exemple en date : les salariés du magasin Ed de Trappes viennent de saisir leur comité d’hygiène et de sécurité pour dénoncer la présence de plusieurs micro-caméras dans leurs locaux. « Nous souhaitions assurer votre sécurité », aurait rétorqué la direction générale qui s’est empressée de retirer ses joujoux sous 48 h.
Harcèlement moral
Chez Lidl, on privilégie plutôt le recours à des détectives privés pour en connaître davantage sur la vie personnelle des délégués syndicaux, considérés comme des agitateurs potentiels. L’intimidation psychologique est aujourd’hui très forte. « Il est fréquent d’être suivi jusqu’à son domicile en filature par des inconnus ou les vigiles des magasins », confie ce directeur de Aldi, également délégué CFE/CGC.
Dans ce contexte, la plupart des salariés du hard-discount ne tiennent que quelques années, voire quelques mois. De source syndicale, le turnover s’élevait en 2004 à 38 % chez Ed, 40 % chez Aldi et 45 % chez Lidl. Et si les départs volontaires sont importants, les licenciements le sont encore plus (deux tiers du turnover en moyenne).
« Malgré une politique salariale honorable, il devient de plus en plus difficile de recruter du personnel, précise ce délégué CFDT chez Lidl. Mais ce qui reste le plus inquiétant, c’est de voir la distribution traditionnelle se calquer petit à petit sur notre modèle social. » Certes, on est encore loin aujourd’hui des pratiques en vigueur chez Aldi, Lidl, Ed et compagnie, mais ce nivellement vers le bas ne laisse présager rien de bon.
Best of du modèle social « à la discount »
1 – Le « test caddie ». Cette pratique consiste à piéger un salarié qui travaille en caisse en essayant de passer un paquet de jambon sans le payer. Réalisé par un jeune nouvellement embauché, elle permet de s’assurer que la caissière effectue le contrôle de fouille des clients.
2 - Le « contrôle de fin de sortie ». Cette procédure consiste à réaliser une fouille systématique des employés et de leurs effets personnels à la fermeture du magasin.
3 - La prime de productivité. Elle n’est versée que si le ratio « chiffre d’affaires / nombre d’heures travaillées » est atteint par le magasin. Les objectifs sont tellement élevés que cela pousse les employés à ne pas déclarer toutes leurs heures afin de pouvoir toucher les bonus.
4 - L’intimidation et la filature. Une pratique fréquent pour en connaître davantage sur la vie personnelle des délégués syndicaux, considérés comme des agitateurs potentiels.
5 - Le codage des téléphones du magasin. Seule une liste de numéros pré-enregistrés est disponible : secours, direction régionale, et surtout celui de chaque employé afin de pouvoir les appeler au pied levé pour palier toutes absences.