Négos : la peur du gendarme fait-elle effet ?

Négos : la peur du gendarme fait-elle effet ?

En 2016, la loi et la jurisprudence ont renforcé les sanctions en cas d’abus des enseignes dans les relations commerciales. Les négos 2017 se sont déroulées dans un climat (un peu) moins tendu, mais les industriels veulent encore mieux définir la notion de déséquilibre significatif.

Dans un bilan de la jurisprudence 2016 en matière de relations commerciales, publié en mai par la DGCCRF, plusieurs tendances fortes ressortent. Les arbitrages de la Cour d’Appel de Paris, d’abord, rendent plus faciles les assignations des enseignes en cas d’abus suspectés.

La possibilité pour les services de Bercy de mener des "enquêtes lourdes", avec visites et saisies de documents, a été confortée en décembre dans une affaire visant Carrefour, pour une remise "complémentaire" exigée en préalable aux négociations (le rapport de la DGCCRF ne cite pas les noms des sociétés jugées, mais ils sont faciles à retrouver).

Des assignations sans fournisseur consentant

La même cour, en juin, avait statué qu’une assignation pouvait très bien être lancée par le ministère de l’Économie sans qu’aucun fournisseur supposé lésé ne soit présent ou consentant (ni même informé au lancement de la procédure). Le dossier, qui visait Système U, a abouti à la condamnation record de 77 millions d’euros à rembourser à quatre grands industriels.

En outre, les fournisseurs qui prennent parfois la défense des distributeurs ne sont guère entendus s’ils n’apportent pas de nouvelles pièces aux dossiers. Dans l’affaire visant Système U, ceux qui avaient témoigné pour souligner leur accord à rémunérer des prestations de "tronc d’assortiment commun" n’ont pas convaincu les juges sur la nature effective de ces prestations.

En janvier, la Cour d’Appel avait débouté Leclerc sur un sujet similaire. Le distributeur, précédemment condamné à rembourser 23 millions d’euros indûment perçus, demandait la restitution des sommes prélevées par Bercy mais non réclamées par les industriels. Là encore, un courrier de soutien (en l’occurrence rédigé par Fleury Michon, qui renonçait à récupérer les 910.000 euros qui lui étaient dus) n’a pas fait fléchir les juges.

A l’inverse, en décembre, le Tribunal de Commerce de Créteil a débouté l’Autorité de la Concurrence et le ministre de l’Économie dans un autre dossier visant Leclerc. Cette fois, les services supposés fictifs ont été précisément décrits par des fournisseurs, attestant donc de leur réalité.

Pas de préjudice à prouver

Un autre point essentiel a aussi été tranché par les juges en 2016 : les pratiques restrictives de concurrence n’ont pas besoin de causer des préjudices pour être condamnées.

En juin, la Cour d’Appel d’Amiens a confirmé une condamnation pour rupture brutale des relations commerciales, sans qu’il soit nécessaire d’établir le préjudice résultant de cette pratique illicite. L’affaire ne concernait pas une entreprise de la grande distribution, mais cette jurisprudence, évidemment, fera date.

En octobre, la Cour de Cassation a elle directement condamné Carrefour pour des tentatives de soumission de fournisseurs à un déséquilibre significatif. Ce sont des contrats-types du distributeur qui ont été sanctionnés, peu importe qu’ils soient ensuite rééquilibrés ou non durant la négociation.

En décembre 2016, en outre, l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 sur "la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique" a élargi la liste des pratiques abusives explicitement prohibées, et donc condamnables même si elles sont "compensées" en négo.

Un climat "moins tendu" en 2017

Est-ce un effet de cette pression judiciaire qui s’accroît sur les distributeurs ? Le 17 mai, l’Ilec, association qui représente 75 grands industriels, se félicitait du climat "moins tendu que les années précédentes" dans lequel se sont déroulées les négos pour 2017, soulignant "un meilleur respect du formalisme" (même si sur le fond l’institut déplorait une dégradation des tarifs pour la cinquième année consécutive).

La réglementation actuelle encadrant les relations commerciales est "un corpus solide car il s’est construit dans le temps", a apprécié Richard Panquiault, le directeur général de l’Ilec, à l’occasion d’un débat organisé le 19 mai par la DGCCRF sur les pratiques restrictives de concurrence. Mais la notion même de déséquilibre significatif continue de faire débat parce qu’elle est encore, souvent, soumise à appréciation.

"Le déséquilibre significatif est un virus"

En janvier 2017, la Cour de Cassation a confirmé, en condamnant Leclerc à rembourser 61 millions d’euros à ses fournisseurs, que cette notion de déséquilibre pouvait aussi être prise en compte dans le cadre, jusqu’à présent plus libre, de la fixation des prix (et pas seulement dans les contrats de prestation commerciale ou les conventions de partenariat).

"Le déséquilibre significatif est un virus qui va infecter tous les contrats", a prédit Alain Gauvin, directeur des affaires juridiques de Carrefour France, durant l’atelier de la DGCCRF. Sans surprise, le distributeur milite pour une simplification de la réglementation française, qui en l’état actuel est source selon lui "d’insécurité" pour les contractants.

L’Ilec, à l’inverse, en appelle à une extension de la notion de déséquilibre significatif. L’association demande notamment que les résultats des négociations soient aussi appréciés en fin d’exercice, afin de juger si l’amélioration réelle des plans d’affaires est proportionnelle aux baisses de tarifs accordées.

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