Les chiffres qui ne passent pas

Les plus farouches détracteurs des grandes surfaces ne manqueront pas de s’étrangler à la lecture de l’édition 2005 du DistriBook-Linéaires. Ce recueil des chiffres clefs de la distribution souligne une nouvelle fois la main-mise des centrales d’achats sur le commerce de détail non-spécialisé. Carrefour, Leclerc, Système U, Intermarché, EMC distribution-Casino, Auchan et Provera représentent 94,4 % du chiffre d’affaires du secteur (hors essence). Aiguillonnés par les protestations aussi régulières qu’indignées des victimes affichées de ce rapport de force inégal (petits commerçants, agriculteurs, PME, etc.), nos élus en ont remis une couche sur le thème inépuisable de l’omnipotence des centrales d’achat. Le débat sur la hausse des prix et la réforme de la Loi Galland s’y prête à merveille. Fin novembre, quelques jours avant de quitter le Ministère de l’Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy exposait sa vision des choses devant les députés : « Il se trouve que, dans notre pays, la grande distribution est trop concentrée ». Et Nicolas Sarkozy d’ajouter : « Les PME se trouvent finalement face à cinq acteurs avec lesquels il est de plus en plus difficile de discuter ». Aujourd’hui sénateur de la Mayenne, le centriste Jean Arthuis, son lointain prédécesseur à Bercy, se montre nettement moins diplomate lorsqu’il évoque « l’impérialisme de la distribution (…) paré des vertus de la baisse des prix, habillé par une communication habile flattant le consommateur, organisé autour de quelques pôles de distribution, de quelques marques de combat en position dominante dans un jeu inégal ». La gauche n’est pas en reste. Le 25 novembre dernier, au plus fort de la polémique sur l’inflation des produits de consommation courante, les députés PS réclamaient la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le sujet, fustigeant au passage les pressions exercées par les centrales d’achats sur les fournisseurs et les agriculteurs. Une demande rejetée.

6 points de perdus en 5 ans

Ces témoignages de la méfiance ou de la défiance des pouvoirs publics à l’égard de la grande distribution ne sont guère surprenants. Par certains aspects, ils sont même bien compréhensibles. Certains jugements n’en sont pas moins basés sur une vision incomplète de la situation. Si le poids des centrales d’achats est considérable et incontestable, il se situe dans la tendance des phénomènes observés chez nos principaux voisins européens. Selon le cabinet d’études spécialisé M+M PlanetRetail, les cinq principaux distributeurs français représentent 73,6 % des ventes de détail contre 67,4 % en Allemagne, 68,2 % en Espagne, 70,2 % aux Pays-Bas et 79,5 % en Belgique (des exceptions notables existent néanmoins comme la Grande-Bretagne : 55,6 %).
En outre et contrairement aux idées reçues, l’influence des centrales d’achats ne s’est pas accrue ces dernières années. Elle a même régressé, tout du moins pour ce qui concerne l’alimentaire. En 1999, les cinq premières centrales représentaient près de 96 % du chiffre d’affaires du secteur, soit 6 points de plus qu’aujourd’hui ! La scission d’Opera a quelque peu rebattu les cartes. Surtout, la montée en puissance des chaînes de hard-discount (12,7 % de part de marché), notamment allemandes, a eu pour effet mécanique de diversifier davantage les débouchés pour l’amont. Du reste, hormis Lucie (Leclerc + Système U), toutes les autres grandes centrales ont vu leurs parts de marché stagner ou reculer en 2004. Autre indicateur, selon les chiffres de l’INSEE, la part des hypers et supermarchés dans les ventes de produits alimentaires n’a augmenté que de 0,8 point entre 2000 et 2003 (66,9 % contre 8,5 % pour les petites surfaces d’alimentation générale). Le commerce organisé continue à grappiller du terrain sur les petits commerçants indépendants mais on est loin de la poussée anarchique bien souvent dénoncée.

Linéaires - Formules d'abonnement

LE SPÉCIALISTE DES RAYONS FRAIS ET ÉPICERIE

● L'expertise du seul magazine spécialiste de l'alimentaire en GMS
● De nombreux reportages en magasins, enquêtes et comparatifs indépendants
● Plus de 100 dossiers marchés et focus produits traités chaque année

Profitez d'une offre découverte 3 mois