Leclerc : les raisons d'une condamnation à 63 millions d'euros
Leclerc a écopé d'une condamnation record : 2 millions d'euros d'amende et 61,3 millions d'euros indûment perçus à rembourser aux fournisseurs. Arguments de Leclerc, motivation des juges : l'analyse de Linéaires.
Dans cette affaire, Leclerc est sanctionné par la Cour d'Appel de Paris pour des clauses de remises de fin d'année ("RFA") mal ficelées. Peu précis, les contrats signés étaient la marque, selon les juges, d'un déséquilibre significatif dans la relation commerciale. D'où la condamnation.
En jeu : la disparition des contreparties
En face, Leclerc se défend finalement peu sur la nature de ces clauses. Ses avocats ont bien cherché à faire valoir un certain équilibre dans les contrats, mais le combat de l'enseigne est ailleurs.
Ce que Leclerc revendique, sur le plan judiciaire comme sur le plan médiatique, c'est la fin de la mascarade qui consiste à habiller les baisses de prix par des compensations particulières.
Si Danone est trop cher par rapport à Yoplait, plutôt que de demander simplement au premier de s’aligner sur le second, faut-il, pour l’obtenir, convenir que Michel-Edouard Leclerc ira faire le zozo deux fois par jour devant la gondole de Danone pour attirer le chaland et obtenir de Danone la baisse de prix qui le rendrait compétitif ? |
Le distributeur, qui dit avoir toujours milité contre le système opaque des coopérations commerciales, veut simplement pouvoir négocier les prix. Point barre. Sans autre contrepartie que la signature du contrat de vente.
Les trois demandes de Leclerc
Devant les juges de la Cour d'Appel, tout comme en 2013 devant ceux du Tribunal de Commerce de Paris (qui avaient donné raison au distributeur en première instance), les avocats de Leclerc ont argumenté que la RFA était une réduction de prix et non la rémunération d'un service.
À ce titre, le distributeur attendait des magistrats de la Cour d'Appel qu'ils jugent la demande du ministère de l’Économie inconstitutionnelle, puisque le gouvernement n'a pas à se mêler de la fixation des prix. L'assignation au départ de cette affaire avait été lancée par Bercy en 2011, pour des pratiques observées en 2009 et 2010.
Si la légitimité de l'assignation était toutefois confirmée, Leclerc réclamait alors qu'elle soit jugée infondée. Et si les juges la reconnaissaient au contraire fondée, en condamnant Leclerc à rembourser les RFA aux fournisseurs, les avocats du distributeur avaient aussi pris la précaution de demander que les sommes laissées en dépôt au Trésor Public mais non réclamées par les industriels lui soient restituées…
"Soumission des fournisseurs à un déséquilibre significatif"
Dans son arrêt rendu le 1 juillet dernier, la Cour d'Appel n'a satisfait aucune des demandes de Leclerc.
L'assignation par Bercy, d'abord, est reconnue légitime. Sur les conditions définissant la RFA, ensuite, la Cour d'Appel reconnaît l'existence "d'un faisceau d'indices établissant la soumission des fournisseurs par le Galec à un déséquilibre significatif".
Les 46 fournisseurs concernés par l'assignation "ont signé les 118 contrats types prérédigés par le Galec sans y apporter la moindre modification", observe la Cour.
Les juges s'étonnent également de la forte variation des taux de ristournes d'un fournisseur à un autre : de 4,28% jusqu'à 14,5% en 2009, de 2% à 14,5% en 2010. La Cour d'Appel ne voit pas dans ces écarts le résultat d'une négociation, mais soupçonne plutôt Leclerc d'avoir déterminé lui-même ces taux pour atteindre le prix qu'il s'était fixé et qu'il n'obtenait pas sur la facture de l'industriel.
Dans le détail des contrats, enfin, les conditions de réalisation des RFA étaient souvent peu claires sur les engagements de l'enseigne, présentés pourtant comme fondement de la remise.
Lorsqu'un objectif de chiffre d'affaires était évoqué, son montant n'était parfois pas précisé, ou alors fixé à environ la moitié de ce qu'il était raisonnable d'espérer, au nom d'une prétendue "incertitude économique". En revanche, les montants de la RFA, mensualisés et versés par anticipation, étaient eux déjà calculés sur la base d'une projection réaliste des ventes.
Mais Leclerc, encore une fois, assume très bien le fait d'avoir obtenu des remises inconditionnelles (formelles ou de fait, quand les objectifs sont facilement réalisables), puisque ce type de réduction de prix reste licite selon lui.
Des remises de fin d'année versées… avant même le paiement de la marchandise
Les juges de la Cour d'Appel, au passage, se sont étranglés en découvrant que des fournisseurs pouvaient ainsi être amenés à payer des RFA, par anticipation, avant même que la marchandise ait été réglée par le distributeur.
Ce à quoi ont répondu les avocats de Leclerc, sans se démonter, que d'une part les dates de versement des RFA n'étaient pas formellement contraignantes puisque deux clauses contradictoires sur le sujet cohabitaient dans les contrats et que d'autre part les fournisseurs maîtrisaient le délai de paiement des marchandises, puisqu'ils le fixaient eux-mêmes dans leurs conditions générales de vente !
Ils ont aussi insisté sur le fait que les versements par anticipation n'avaient quasiment jamais donné lieu à un trop-perçu (trop-perçu que, contractuellement, Leclerc s'engage à rembourser avec trois fois le taux d'intérêt légal).
Leclerc demandait aux fournisseurs la restitution des sommes remboursées
Le distributeur n'a pas non plus obtenu satisfaction sur la restitution des sommes non réclamées par les industriels. Pas très étonnant, étant donné le passif de l'enseigne.
La Cour d'Appel de Paris s'est certainement souvenue qu'elle avait déjà infligé à Leclerc, en septembre 2013, 2 millions d'euros d'amende pour un motif peu courant. Le distributeur avait en effet été pris en train de demander à ses fournisseurs la restitution des 23 millions d'euros indûment perçus que la justice l'avait condamné à rembourser en 2009 !
Le 1 juillet 2015, la Cour d'Appel a également fixé à 2 millions d'euros l'amende encourue par Leclerc. Un montant élevé, mais loin des 15 millions d'euros espérés par Bercy.
"La gravité de la pratique illicite est tempérée par la circonstance que le Galec ne l'a imposée qu'à un nombre limité de ses fournisseurs et sur une période de deux années", ont retenu les juges.
Leclerc a déjà annoncé son intention de se pourvoir en Cassation.
Les 17 fournisseurs qui devraient récupérer plus d'un million d'euros de la part de Leclerc
La Cour d'Appel impose à Leclerc de rembourser les remises de fin d'année versées par 46 fournisseurs en 2009 et 2010. Le montant cumulé des dossiers atteint 61,3 millions d'euros.
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Pourquoi Bercy peut se mêler de la négociation des prix
Pour Leclerc, les remises de fin d'année sont un élément constitutif de la négociation des prix. Et la négociation particulière du prix constitue "l'objet même des CPV (conditions particulières de vente, NDLR), qui sont devenues le siège de la liberté contractuelle en matière de détermination du prix et s'ajoutent à la négociation des CGV (conditions générales de vente rédigées par les fournisseurs, NDLR)".
Dans sa lutte contre les marges arrière, la loi de modernisation de l'économie de 2008 a fait disparaître, argumente Leclerc, toute contrepartie ou justification aux CPV. Les RFA ne représentent pas un "service distinct" et encore moins une coopération commerciale.
Pour la Cour d'Appel, toutefois, l'assignation par Bercy est légitime car "si le juge judiciaire ne peut contrôler les prix qui relèvent de la négociation commerciale, il doit sanctionner les pratiques commerciales restrictives de concurrence et peut annuler les clauses contractuelles qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, même lorsque ces clauses sont relatives à la détermination du prix".