Le grand rebond de l’alimentaire
Ca, c’est de la bonne volonté. Le gouvernement réclame plus de concurrence avec davantage d’ouvertures de magasins ? Les commissions départementales d’équipement commercial (les fameuses CDEC) ont pris les devants. Elles ont ouvert les vannes aux créations de mètres carrés : + 7 % en 2007.
Les enseignes alimentaires sont les seules à bénéficier de ces largesses. Linéaires a épluché les décisions des CDEC l’an dernier en isolant les seuls circuits hypers, supers, hard discount et quelques enseignes spécialisées. Notre enquête a pointé la création de 786 000 mètres carrés officiellement autorisés (un chiffre, donc, en croissance de 7 %).
Dans un rapport annuel, le ministère de l’Economie rappelle que l’activité globale des CDEC s’est ralentie l’an dernier. Chargées de réguler les différentes formes de commerce, les commissions traitent également les demandes des surfaces de bricolage, d’équipement de la maison, ou encore les ouvertures d’hôtels et de cinémas. Pour cet ensemble hétérogène, Bercy pointe une rareté historique : le nombre de dossiers et, surtout, de mètres carrés sollicités a baissé en 2007. Il en va de même, logiquement, pour les surfaces accordées, en chute de 5 %.
Les demandes des enseignes alimentaires représentent un petit quart des dossiers traités en CDEC. Et cette part là échappe à la morosité. Hypers, supermarchés et discounters ont retrouvé un sacré mordant. 2007 marque ainsi le retour en scène des grands formats, qui réclament (et obtiennent) sans complexe des mètres carrés. Le symbole est fort : 38 créations d'hypermarchés ont été validées l'an dernier (34 en commission départementale, 4 en commission nationale). En 2006, on en dénombrait seulement moitié moins.
Un 11 000 m2 pour Auchan
Auchan est l'enseigne qui illustre le mieux ce renouveau. Quasi absente des débats il y a trois ans (20 000 m2 obtenus), elle a repris l'offensive en 2006 (33 000 m2) et surtout en 2007 (60 000 m2). Auchan s'offre par exemple le droit de créer ex nihilo un mastodonte de 11 400 m2 à Arras, dans le Pas-de-Calais. Même chose à Sens (Yonne) sur 8 100 m2. Bref, le distributeur nordiste a décidé de financer de nouveaux mètres carrés sur le sol français et ça se voit.
Carrefour, de même, a fait du développement de ses hypers hexagonaux une priorité. Tous circuits confondus, le groupe a obtenu un peu moins de mètres carrés en 2007 qu'en 2006. Mais cette fois, l'enseigne Carrefour double sa part du gâteau, à 46 000 m2. L'autorisation de faire sortir de terre, à Villeneuve La Garenne (Hauts-de-Seine), un magasin de 12 000 m2 n'est pas passée inaperçue là non plus.
320 000 m2 pour les indépendants
Cette politique d'investissement n'est pas l'apanage des groupes intégrés. Au contraire. Intermarché, Leclerc et Super U sont les enseignes qui tiennent le haut du pavé en matière de création de mètres carrés. Avec respectivement 112 000, 109 000 et 101 000 m2 autorisés en CDEC, les indépendants atteignent des records en 2007. Un rappel : l'année précédente, Leclerc dominait les débats avec... 91 000 m2 obtenus.
Les commerçants indépendants sont prêts à investir et les commissions départementales d'équipement commercial accueillent leurs démarches avec davantage de bienveillance. Le taux de « transformation » des demandes de Leclerc est ainsi passé de 61 % en 2006 à 79 % en 2007. Même la commission nationale, qui étudie les recours, fait les yeux doux au mouvement d'indépendants. Elle a validé 25 000 m2 supplémentaires rien que pour l'enseigne, dont cinq créations de magasins ! Dans le lot, encore un paquebot : 9 950 m2 à Décines Charpieu, dans le Rhône. Et les CDEC ne sont pas en reste. Leclerc a ainsi pu faire valider des créations sur 8 000 m2 (Blanc Mesnil, 93) et 7 000 m2 (Etampes, 91). Du lourd.
Intermarché et Système U ferraillent sur des formats plus modestes, mais n'en sont pas moins efficaces. Les Mousquetaires, en 2007, ont augmenté d’un tiers les surfaces validées en CDEC. Ils ont mis le paquet sur les extensions de magasins : 91 points de vente ont obtenu l'autorisation de s'agrandir, auxquels s'ajoutent 11 transferts. Voilà un signe de bonne santé à la fois du réseau et du concept d'enseigne MAG3, qui devrait porter tous ces chantiers.
Leclerc et Intermarché peuvent s'enorgueillir de la création de respectivement 17 et 16 nouveaux points de vente. C'est bien, mais sans commune mesure avec les 28 autorisations récupérées par Super U. L'enseigne joue avec succès la carte des emplacements « rurbains », en plein boom immobilier. Au global, Système U a engrangé assez d’accords pour développer de 7 % la surface de son parc. Qui dit mieux ? Personne.
Le hard discount, de son côté, reste toujours moins apprécié en CDEC. Pour 10 mètres carrés demandés, 4 sont refusés (contre seulement 2 pour les supermarchés et 1 pour la proximité). Mais les discounters ont pris l’habitude de compenser cet écueil en inondant les commissions de leurs demandes. A eux seuls, ils représentent 37 % des dossiers déposés en 2007 ! Résultat : le circuit fait bonne figure, puisqu’il a gagné de quoi faire croître son parc de 5 %. C’est aussi bien que les supermarchés et mieux que les hypers.
Dans le détail, Lidl se distingue par son activisme. 50 000 mètres carrés obtenus en CDEC, c’est presque autant que Champion et mieux que Carrefour ! Le discounter allemand va pouvoir ouvrir 46 nouveaux magasins dans l’Hexagone (43 acceptés en CDEC, 3 en CNEC). Loin devant les 26 créations d’Aldi, pourtant très honorables, Lidl enregistre un score qui fait suite… aux 51 ouvertures déjà gagnées en 2006.
En marge de toute cette agitation, deux groupes brillent par leur discrétion. Casino, d’abord, ne semble pas avoir fait des mètres carrés sa priorité en 2007. Rien ou presque n’a été demandé pour Géant ; les ambitions ont été sérieusement revues à la baisse pour les supers Casino et Leader Price. Bref, on est assez loin des positions tenues officiellement en la matière. Il est vrai que le distributeur prépare déjà l’ouverture de deux géants de 12 000 m2, autorisés en 2005 et 2006. Le groupe a également enclenché un chantier de rénovation de son parc, hypers comme supers, et a sans doute procédé à des arbitrages budgétaires. Quant à Franprix-Leader Price, la période est à la reprise en main. Une fois passé l’orage, les demandes de mètres carrés devraient reprendre, dès cette année.
Cora, enfin, inquiète davantage. Il est vrai, là encore, que les rénovations de magasins existants donnent de beaux résultats (voir par exemple notre dernier reportage à Cora Soissons, sur lineaires.com). Mais le distributeur affaiblit considérablement ses positions, à ne pas vouloir s’engager dans la course aux mètres carrés menée par ses concurrents. En déboursant 850 millions d’euros, en 2006, pour racheter les parts de son capital qui étaient passées aux mains de Casino, Cora a gagné en sérénité. Mais à en juger par l’atonie de l’enseigne depuis en matière de développement, le prix semble bien lourd à payer.