Éternel pourfendeur de "merde industrielle", Jean-Pierre Coffe n'en a pas moins vécu une belle histoire avec la grande distribution, Carrefour et surtout Leader Price. Son obsession attachante pour la qualité à petit prix méritera d'être longtemps prise en exemple par les enseignes.

Ce serait même, sans doute, le plus bel hommage que la profession pourrait rendre au célèbre chroniqueur culinaire, qui s'est éteint le 29 mars.

Ses coups de gueule ont fait les délices du paysage audiovisuel français durant vingt-cinq ans. Le premier d'entre eux, sans doute le plus célèbre, est d'ailleurs souvent mal rapporté.

Quand, en 1992, à la surprise générale, Jean-Pierre Coffe balance ses saucisses à travers le plateau de la Grande Famille de Canal+ "parce que c'est pas de la charcuterie, c'est de la merde", il ne cible pas un supermarché ou une grande marque.

Il s'étrangle devant ce qu'un charcutier de quartier ose proposer dans sa boutique.

Connu pour collaborer avec Leader Price depuis 2009, Jean-Pierre Coffe s'était d'abord, au début des années 2000, associé avec Carrefour. Pas pour parler fourneaux, mais bouturage : il était coactionnaire de Carrefour-jardins, la société qui exploitait le site marchand du même nom. L'aventure a duré moins d'un an.

"Nous avons travaillé ensemble sur ce site parce qu’une passion commune nous réunissait, Daniel Bernard [PDG de Carrefour à cette époque, NDLR] et moi : le jardinage, avait-il confié à Linéaires en 2002. Mais internet n’était peut-être pas adapté. Le jardin, c’est du vivant. Quand vous achetez un arbre, c’est un peu comme une femme : vous allez vivre cinquante ans avec !"

En 2009, sollicité par Leader Price pour une campagne de publicité, Jean-Pierre Coffe accepte à la condition de pouvoir aussi s'occuper des produits de l'enseigne. Beaucoup critiqué pour cette association avec le hard discount, emblème de la bouffe industrielle et bas de gamme, le chroniqueur et consultant y voit pourtant, dans la durée, l'occasion de mettre en pratique ses propres prêches.

"Après pratiquement trente ans de combats, je réalise enfin ce que je voulais faire, lâche-t-il, heureux, dans un entretien accordé à Linéaires en 2011. Quand je rentre chez un industriel, quand je farfouille dans les chambres froides ou dans les labos, personne n'ose me dire quoi que ce soit. Je peux les emmerder tout à loisir…"

Jean-Pierre Coffe n'a pas retravaillé la composition ou la recette de tous les produits Leader Price. Mais ceux qui sont passés entre ses mains, objectivement, ont vu leur qualité progresser : mise en œuvre d'ingrédients plus nobles, suppression d'additifs, de colorants, etc.

Leader Price a perdu un précieux collaborateur et fait part, ce 30 mars, de sa "très grande émotion", saluant "la passion, la conviction, la sincérité et la générosité" de l'homme.

Au-delà de sa capacité à "emmerder" les industriels, Jean-Pierre Coffe pouvait être fier de participer à ce grand mouvement de prise de conscience collective de l'importance de la qualité de l'alimentation.

"Ça n'ira qu'en s'arrangeant, mais pas grâce aux producteurs. Non, grâce aux consommateurs, nous affirmait-il en 2011. Ils commencent à prendre peur. Et même si la presse est un peu alarmiste et qu'on rentre quelque part dans une période hygiéniste, je crois que cette peur est utile, car elle rend les consommateurs beaucoup plus vigilants. Ils sont de plus en plus formés, pointilleux, sourcilleux et commencent à acheter de façon intelligente."