Jean-Paul Charié, le rapporteur de la LME, s’explique
Il faut sans doute y voir une nouvelle illustration du sens politique de Nicolas Sarkozy. La loi de modernisation de l’économie, qui sera débattue à l’Assemblée à partir du 27 mai, aura pour rapporteur un certain Jean-Paul Charié, élu du Loiret et pourfendeur en chef, depuis plus de 25 ans, de la grande distribution au Palais Bourbon.
Le président de la République l’a reconnu lors de sa dernière intervention télévisée : ses ministres, Christine Lagarde et Luc Chatel, devront certainement batailler ferme – y compris contre les propres élus de la majorité - sur les volets les plus libéraux de la LME. En particulier la négociabilité des prix et l’assouplissement des conditions d’implantation.
Nicolas Sarkozy sait à quel point il va être délicat de faire voter ce texte par sa majorité UMP. Traditionnellement très proches des lobbys agricoles, toujours soucieux de s’afficher en faveur des petits commerçants de centre-ville, les bancs de l’UMP sont très virulents lorsqu’il s’agit, à l’Assemblée, de s’intéresser à la grande distribution.
Dans ces conditions, la désignation par la Commission des affaires économiques de Jean-Paul Charié comme rapporteur pourrait laisser présager de débats houleux. En avalisant cette nomination, les dirigeants de l’UMP ont pourtant fait preuve de beaucoup d’habileté. En témoignent les propos tenus à Linéaires par Jean-Paul Charié. L’inflexion est de mise…
- Comment entendez-vous concilier les positions traditionnelles des élus UMP avec les ambitions du projet gouvernemental ?
Tout d’abord, j’ai toujours combattu les pratiques déloyales mais jamais les grandes surfaces en tant que telles. Les pratiques déloyales ont, effectivement, souvent été du côté des distributeurs mais il y en a autant côté fournisseurs. Et ça, je l’ai toujours dit. Mon souci est simple. Il s’agit de faire en sorte que grâce à une loi plus simple, on puisse mieux appliquer des règles du jeu sans lesquelles il n’y a pas de libre concurrence. Il faut donc clarifier les choses pour que les règles soient simples et applicables. Ensuite, il faut, en accord avec l’Elysée, Matignon et Bercy, que nous soyons beaucoup plus rigoureux dans l’effectivité de la loi. J’ai parlé avec la FCD, hier encore (dimanche 27 avril, NDLR) avec Naouri, j’ai discuté avec l’ensemble des acteurs pertinents de la grande distribution. Ils sont tous d’accord pour dire qu’il n’est pas normal de gagner des parts de marché ou des points de compétitivité avec des pratiques déloyales, sans jamais être sanctionné.
- Comment interprétez-vous le mécontentement des fournisseurs (Ilec, Ania, CGPME, Feef, FNSEA, etc.) qui a abouti à la pétition de la semaine passée ?
Il y a eu un loupé sur ce sujet là. Ce n’est pas normal de laisser à penser que nous étions pour la négociabilité à n’importe quel prix. Certes, nous sommes attachés au fait qu’il ne faudra plus, ligne par ligne, justifier le moindre petit avantage. Il suffira que ce soit global, ou tout du moins significatif. Mais à l’inverse, il est évident que la négociabilité ne doit pas se transformer côté distributeurs par une approche du type « vous me faites telle remise sans contrepartie » ou, côté fournisseurs par « je vous fais telles conditions mais vous m’écartez le concurrent ». Il faut que la relation commerciale soit transparente et justifiable. Nous allons vers une loi très simple où vous aurez le droit de faire ce que vous voulez à partir du moment où c‘est inscrit dans un document préalable et que c’est justifiable. Par exemple, un avantage qui serait octroyé pour une contrepartie qui ne serait en fait pas réalisée n’est plus un avantage justifiable.
- Concernant les règles d’implantation des magasins, le texte marque là aussi une évolution très sensible par rapport au cadre réglementaire en vigueur.
J’ai toujours dit que le plus important était les pratiques commerciales et non pas la taille des commerces. On ne peut pas être pour la libre-entreprise et être contre des formes ou des tailles de commerce. Quand il y avait les grands magasins de centre-ville, les Monoprix, les Prisunic, les Printemps, etc., c’était bien déjà des grandes surfaces de vente. S’agissant des propos que j’ai tenus depuis 25 ans - depuis la loi Royer de 1973, cela fait même beaucoup plus de 25 ans - si nous n’arrivions pas, en France, à moraliser et à clarifier les pratiques, c’est parce qu’on s’y prenait mal. Ayons le courage de nous y prendre autrement. C’est un des enjeux de la loi.
- Quelle va être la compatibilité avec la nouvelle loi des dispositifs existants, en particulier les chartes d’urbanisme commercial dont certaines métropoles se sont dotées ?
Nous sommes convenus, avec Christine Lagarde, que nous allions donner, par amendement parlementaire, force de loi, c'est-à-dire rendre opposables, les schémas de développement commercial conformes à un minimum de règles. Cette exigence de conformité évitera que des schémas de développement commercial ne soient en fait des schémas d’entrave au développement. Avec le nouveau dispositif, les pétitionnaires qui seront à même, par exemple, de justifier du caractère innovant de leur projet, pourront marquer des points supplémentaires pour obtenir des autorisations.
- Comprenez-vous que l’on puisse être surpris, compte tenu de vos prises de positions antérieures, que ce soit vous qui ayez été choisi comme rapporteur de ce texte ?
J’ai parfaitement conscience d’être un de ceux qui a depuis si longtemps autant travaillé le sujet. Cela me donnera à la fois du crédit vis-à-vis des acteurs économiques (grande distribution, petit commerce, franchisés, fournisseurs) et une certaine autorité vis-à-vis de quelques administrations qui depuis trop longtemps, parfois, freinent certaines évolutions.
- On ne vous accuse pas d’avoir retourné votre veste ?
Ca m’étonnerait, vous allez le voir. Je continue d’être scandalisé par certaines pratiques, côté fournisseurs comme côté distributeurs. C’est vrai qu’à une époque, j’étais tellement jeune et pugnace que j’ai surtout mis cela en valeur mais je suis pour la libre concurrence, je suis pour les grandes surfaces, pour l’innovation, contre la loi Royer.
En revanche, je ne peux accepter les pratiques scandaleuses. Quand j’apprends que certains font venir des fournisseurs, qu’ils leur font signer des contrats, évidemment préparés par eux, et que ces fournisseurs repartent sans même avoir le droit d’obtenir une copie de ce qu’ils viennent de signer... C’est tout de même incroyable. Je veux vraiment remettre plus d’éthique dans la concurrence.