Faciliter (vraiment) la vie du chaland
Dans le modèle économique de la grande distribution, c’est le client qui fait une partie du boulot. Il se déplace jusqu’au point de vente, pousse un grand chariot et parcourt lui-même les allées de l’entrepôt (à peine aménagé, parfois). Il y prend les produits qui l’intéressent puis les ramène jusqu’à la caisse. Dans certains cas, la technologie aidant, il scanne lui-même les articles, paie et part charger sa voiture. Et globalement, il est content.
Il est content, parce que s’il effectue lui-même ce travail, c’est pour éviter de payer quelqu’un d’autre à le faire. Problème : il trouve aujourd’hui moins cher ailleurs, sans travailler plus. Et il n’est pas question, pour les GMS, de mettre davantage de personnel à disposition des clients uniquement pour justifier l’écart de prix actuel. Du coup, les responsables d’enseignes se creusent la tête pour trouver comment offrir des avantages concrets sur le hard-discount, sans faire exploser leurs coûts de fonctionnement. Toute la subtilité consistant à faciliter la vie des clients, leur rendre de vrais services, sans reprendre à sa charge le travail qu’ils effectuent. L’enjeu est de taille puisque, selon Ipsos, 58 % des Français jugent aujourd’hui que faire les courses en hypermarché est fatigant et stressant.
Trop de produits « superflus »
Voici, sans prétendre à l’exhaustivité, quelques pistes concrètes qui peuvent alimenter le débat. Premier axe de réflexion : redevenir commerçant. Le propos n’est pas qu’une provocation gratuite. Empêchés de fixer librement leurs prix, les distributeurs se sont constitué des marges « par l’arrière », au point de ne (presque) plus penser les assortiments qu’à travers ce prisme.
Trop souvent, l’offre en rayon est pilotée par les budgets de référencement ou les accords de gamme. Alors qu’elle devrait être le résultat d’une pertinente sélection parmi les catalogues des industriels. La construction des assortiments est d’ailleurs une composante déterminante de l’image de l’enseigne, selon la façon dont elle fait le tri. Toujours d’après Ipsos, 40 % des consommateurs estiment que les hypermarchés sont surchargés de produits. Si l’on interroge uniquement les « shoppers » (ceux qui font les courses), ils sont même 61 % à penser qu’il y a trop de produits superflus dans les magasins.
Second axe, lié au premier : apporter des conseils pertinents à ses clients. Les magasins doivent accompagner le chaland dans la compréhension de l’offre qu’ils ont sélectionnée. En ce moment, les points de vente ne ménagent pas leurs efforts pour expliquer le positionnement de leurs gammes premiers prix. Les produits plus chers ne méritent pas moins d’attention, au contraire. Si l’on considère que désormais, la MDD tient lieu de référent prix, les magasins ont tout intérêt à justifier la place qu’ils accordent aux marques nationales. Se reposer sur les mentions valorisantes des packagings ne suffit pas.
Des panoramas explicatifs
Des enseignes comme Leroy Merlin, la Fnac ou Décathlon ont un vrai positionnement marchand en la matière. Le chaland sait qu’il va y trouver des commentaires pertinents, des comparaisons de produits, des modes d’emploi, etc., pour l’aider à faire son choix. Ce modèle n’est pas transposable à l’alimentaire ? A voir.
Les consommateurs apprécieraient sûrement, par exemple, un panorama explicatif de la gondole foie gras en fin d’année, des équivalences en portion et des méthodes de préparation au rayon légumes ou un comparatif des différentes catégories de jus de fruits. L’initiative prise par Carrefour pour présenter son catalogue de jouets de Noël va dans ce sens. Un site Internet bien fait, avec moteur de recherche, suggère des idées de cadeaux en fonction du sexe et de l’âge des enfants (et du prix souhaité), enrichi de quelques conseils pour aider à faire dormir les tout petits ou pour ne pas passer à côté des musts de la cour de récré. Il est même possible d’envoyer sa propre liste, par mail, à papi ou mamie !
Les Français friands de coachs
La notion de « conseil » peut aller encore plus loin. Aujourd’hui, les Français sont friands de « coachs ». La télé leur sert des stages de relooking, des cours de cuisine ou même des leçons de ménage à tour de bras. Pourquoi la distribution ne pourrait-elle pas s’emparer elle aussi du phénomène ? En matière d’alimentation, de cuisine, d’hygiène et même de vêtements ou de beauté, sa légitimité est indiscutable. « Pour organiser des cours, il faut du personnel compétent et ça coûte cher… » Certes. Mais pour éditer des guides, distribuer des fiches ou même vendre des livres bien choisis dans les rayons concernés ? Une enseigne, en outre, aurait parfaitement les moyens de s’offrir le partenariat éclairé d’une personnalité médiatique ou d’un jeune chef (voir à ce propos l’article « Mettez les clients aux fourneaux »).
Troisième piste de travail : des petites attentions bien ciblées, par catégorie de clients. Il ne s’agit pas de verser dans un communautarisme à l’américaine, où certains magasins ont par exemple créé un « jour des seniors » dans la semaine, avec des réductions réservées aux plus de cinquante ou soixante ans. Mais plutôt de proposer des services qui, là encore, facilitent la vie, sans créer de frustration pour le reste de la clientèle.
Un concept pensé pour les seniors
Les seniors, justement, méritent largement plus d’attention que ne veulent bien leur en accorder les distributeurs. De plus en plus nombreux, de plus en plus dynamiques et pour certains d’entre eux à fort pouvoir d’achat, ils tiennent la dragée haute à la ménagère de moins de cinquante ans. Pour les faire venir en hyper (ils n’aiment guère, ou ne peuvent guère, se déplacer loin pour leurs courses), des partenariats intelligents peuvent être noués, avec une mairie ou une association. Des navettes existent ainsi pour assurer la liaison entre une grande surface et certains quartiers, financées par exemple par le distributeur et conduites par des bénévoles.
Au sein du groupe allemand Edeka, la chaîne autrichienne Adeg est célèbre pour avoir lancé, en 2003, un concept pensé pour les seniors. Dotés d’une enseigne dédiée, « Adeg Aktiv Markt 50+ », quatre petits supermarchés offrent aujourd’hui des aménagements sur mesure : des étiquettes plus grandes (avec des loupes à disposition), des allées élargies, des sols antidérapants, des gondoles pas trop hautes, un éclairage qui ne fatigue pas les yeux, etc. Le dispositif n’attire pas que les plus âgés. La moitié de la clientèle a moins de cinquante ans et apprécie particulièrement le confort d’achat du magasin.
Les enfants sont aussi une cible mal choyée par les distributeurs. De nombreux produits leur sont destinés en magasin et ils sont des prescripteurs d’achat importants. Lorsqu’ils montent dans le chariot avec papa ou maman, l’addition peut grimper de 30 %. Mais peu d’aménagements sont pensés pour rendre les courses ludiques ou simplement plus faciles pour les parents débordés.
Les petits chariots sont un premier pas. Les chariots « voiturettes » vont déjà plus loin. Il y a aussi de bonnes idées à prendre chez les spécialistes du jouet, en France ou à l’étranger. Comme ces tableaux ou ces jeux en libre-accès à côté des caisses, pour occuper les bambins dans la file d’attente. Pourquoi également ne pas organiser tous les mercredis une chasse au trésor dans les rayons, en faisant participer les marques ?
« Ne faites plus vos courses, faites des gâteaux ! »
Au-delà de ces « petits » aménagements, de nouveaux concepts de distribution à part entière peuvent aussi sortir de terre, toujours pour proposer des services supplémentaires aux clients. Tout ce qui peut leur faire gagner du temps, par exemple, est bienvenu. Selon une enquête Ipsos, 52 % des gens trouvent qu’ils perdent trop de temps à faire leurs courses.
Avec Auchan Drive (associé à un hyper) ou Chronodrive, le groupe de Gérard Mulliez remet le drive-in au goût du jour et capitalise sur le service rendu. Sur le site Internet de Chronodrive, Auchan exprime (de façon très enthousiaste) les bénéfices consommateurs de sa formule : « En ne faisant plus vos courses, vous vous libérez du temps et de sacrés efforts ! Alors, faites des gâteaux, du sport, des fêtes, des heureux et prenez le temps de prendre du bon temps ! ». Les deux concepts seront bientôt dupliqués : c’est un signe, chez Auchan, qu’ils ont largement prouvé leur performance commerciale.
Concept Qui ouvrira le premier « club entrepôt » en France ?
Les « clubs entrepôts » : la formule remporte un réel succès aux Etats-Unis. Il s’agit de cash & carry qui ne sont pas réservés aux seuls professionnels. Le public y a accès avec une carte de membre, la seule condition à remplir étant le paiement d’une cotisation annuelle. Il bénéficie alors de prix « entrepôt ». Le modèle économique du format repose sur des achats en très grandes quantités d’un nombre de références limitées, vendues avec une marge brute modeste (14 à 15 %) dans des hangars dépouillés. Les adhésions assurant une confortable avance de trésorerie.
Les deux principales enseignes qui s’affrontent sur ce format aux Etats-Unis sont Sam’s Club (une filiale de Wal-Mart) et Costco. Les clients y trouvent de l’alimentaire en gros conditionnements (les mêmes que pour les restaurateurs), mais aussi de l’électroménager, de l’informatique, des écrans plats dernière génération, etc., vendus cette fois à l’unité. Le mois dernier, sur le site de Sam’s Club, on pouvait même acheter un piano à queue au prix « psychologique » de 8 999 dollars… En la matière, Costco fait plus fort. L’enseigne fidélise depuis longtemps une clientèle aisée avec ses bijoux, ses montres de grandes marques… et ses œuvres d’art. Son plus grand coup ? Un Picasso à 129 999,99 dollars.
A une échelle plus modeste, Casino est présent avec Smart & Final, une chaîne d’entrepôts implantée en Californie et dans le Nord du Mexique. Année après année, le concept fait ses preuves. Témoins ces scores enviables de progression des ventes à magasins comparables : + 3 % en 2002, + 9 % en 2003, + 11 % en 2004 et encore + 3 % sur les neuf premiers mois 2005.
Un concept déclinable en France ? D’un point de vue marchand, le positionnement serait pertinent. Voilà en effet une nouvelle façon de proposer aux consommateurs des « achats malins », des produits vendus moins chers que leur prix « normal », qui plus est sans exclure les grandes marques des rayons. Mais pour l’instant, les distributeurs français ne peuvent guère pousser la démarche plus loin que les « hybrides » discount qu’ils ont lancés. Les Halles d’Auchan, par exemple, fait déjà le bonheur des restaurateurs du coin avec ses gros conditionnements. Reste le principe de l’adhésion avec carte de membre, qui conforte le chaland dans son statut de « privilégié ».