Donner de la voix à en perdre la tête

17 mars 2005 - Benoît Merlaud

La pression est encore montée d’un cran. En 2004, selon les relevés de la société spécialisée A3 Distrib, l’intensité des campagnes sur prospectus des hypers et des supers s’est accrue de 6 % sur l’alimentaire (PGC et frais). Le calcul repose sur un indice « maison », qui comptabilise les prospectus édités, leur durée de validité, le nombre de produits cités et la surface commerciale des magasins engagés par chaque opération. Sur cette base, il est possible d’établir un palmarès des enseignes pour l’année 2004, ainsi qu’une analyse fine des mécaniques promotionnelles (bon d’achat, gratuité, etc.) privilégiées par les uns et les autres. Des données révélées en exclusivité pour Linéaires, en avant-première de la convention organisée par A3 Distrib à la fin du mois (voir encadré).
Sans grande surprise, Carrefour reste le premier annonceur sur le média (avec la plus forte « part de voix »). Le distributeur est un habituel gros pourvoyeur de prospectus et le lancement de sa carte de fidélité en avril dernier nécessitait un fort soutien promotionnel sur catalogue. Et encore : le calcul n’intègre pas les offres de longue durée réservées justement aux porteurs de cette carte. Au passage, l’enseigne est devenue après Leclerc la plus adepte des bons d’achat, puisque 35 % des produits sur ses prospectus étaient porteurs d’un « ticket » en 2004 (contre 16 % en 2003).

Leclerc revient en arrière

Derrière Carrefour, Leclerc maintient une pression significative sur les prospectus. En augmentant le nombre d’opérations, mais aussi par une meilleure implication des magasins dans les actions collectives régionales, qui durent plus longtemps et qui mobilisent davantage de surface commerciale. Le ticket est toujours omniprésent sur les tracts de l'enseigne (53 % des produits sont porteurs), même si en la matière, Leclerc revient un peu en arrière. En 2003, 58 % des références sur prospectus donnaient en effet droit à un bon d'achat.
Troisième ténor dans le monde des prospectus, Intermarché a, pour sa part, calmé le jeu l’an dernier. En compensation, sans doute, de l’activité « carte ». En intégrant les petits catalogues mensuels détaillant les avantages accordés aux porteurs (assimilés alors à des tracts nationaux valables chacun trente jours), les Mousquetaires dament en effet le pion à Leclerc dans le classement d’A3 Distrib. Cela dit, malgré l’exploitation de sa carte de fidélité, Intermarché a visiblement choisi de ne pas « forcer » sur les bons d’achat. Leur présence a diminué en prospectus l’an dernier, au profit de la gratuité.

Opérations moins personnalisées

Auchan, ensuite, est sans doute l’enseigne qui a affiché la politique la plus radicale en matière de prospectus alimentaires. Là encore, une partie des tracts a cédé le pas aux offres permanentes destinées à animer la carte de fidélité mais, surtout, la rationalisation aura marqué l’année 2004 chez le distributeur nordiste. Les opérations sont déclinées à l’identique sur l’ensemble du territoire (la personnalisation régionale ne concerne plus que 28 % des publications, contre 40 % en 2003). Au passage, les mécaniques promotionnelles sont simplifiées. Moins de ticket, moins de gratuité : l’enseigne privilégie les réductions plus classiques et les lots.
L’attitude d’Auchan est symptomatique d’une nouvelle prise de conscience. La surenchère de dispositifs promotionnels, « cagnotages » et autres abondements correspond certes au seul moyen légal de faire « mousser » la politique discount d’une enseigne. Mais aujourd’hui, la superposition de ces dispositifs en prospectus a de quoi donner la migraine. Signe des temps, Leclerc, Intermarché et Auchan ont déjà commencé à mettre moins de « tickets » dans leurs catalogues. Pas encore assez, pourtant, pour d’inverser la tendance générale. En 2004, sur l’ensemble des hypers et des supers, la part des produits sur prospectus bénéficiant d’un bon d’achat a gagné deux points, pour arriver à 22 %.

« 50 % + 25 % = 62,50 % »

Leclerc, malgré un premier recul sur son ticket, est tout le contraire d’un bon élève. L’enseigne n’a pas le monopole des montages complexes, mais elle peut s’enorgueillir d’en regrouper un bon nombre sous le même toit. Sur certains de ses tracts, la mécanique frise en effet l’absurde. On passera rapidement sur l’abondement réservé aux porteurs de la carte de fidélité, expliqué par des formules du type : « 50 % de ticket + 25 % carte = 62,50 % ». Pas vraiment à la portée du premier lecteur venu.
Que penser également de l’accumulation d’avantages consommateurs dont bénéficient parfois certaines références ? A l’image de cette bouteille d’apéritif en promotion à 15,50 €, assortie d’un bon de réduction immédiate de 1 €, porteuse en outre d’une offre « ticket » de 1,80 €, à laquelle il convient d’ajouter les 25 % d’abondement « carte » (soit 45 centimes) et avec, enfin, la deuxième bouteille offerte… Une vraie bonne affaire au final (61 % de réduction sur le lot de deux), mais combien de clients en auront perçu toute l’ampleur ?
Plus délirante encore, cette promotion, publiée en octobre dernier, sur un sachet d’ailes de poulet Douce France. Vendu 2,90 €, il était assorti d’une offre « 100 % remboursé » par la marque… complétée par un ticket de 37 centimes (avec la carte). Idem un mois plus tard avec les Hot Pockets de Maggi. Cette fois, pour chaque référence offerte (puisque remboursée), Leclerc versait 62 centimes à ses clients en bon d’achat. Ce qui revient à payer le chaland pour qu’il mette des produits gratuits dans son chariot !
Le mois dernier, Leclerc a montré, en presse quotidienne régionale, qu’il voulait simplifier son discours. L’annonce présentait un lot de deux boîtes de barres Grany avec une soustraction claire : « 3,13 € le lot - 0,60 € de ticket = 2,53 €, ce que ça vous coûte vraiment ». En revanche, il ne fallait pas se pencher sur les mentions en petits caractères : l’enseigne y parlait des 25 % de la carte (« voir en magasin ») et surtout prenait la précaution de préciser que le client ne paierait 2,53 € pour ses Grany que s’il utilisait un autre ticket de 60 centimes, acquis lors de précédents achats dans le magasin. De quoi faire passer une bonne affaire pour une arnaque.

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LES PROSPECTUS EN CHIFFRE :
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>> Activité promotionnelle : deux ténors en recul

>> Poids des offres avec gratuité

>> Poids des offres avec bon d'achat

>> Poids des offres avec points de fidélité

AVIS D'EXPERT« L’année des avantages consommateurs cumulés »
Alain Guinberteau, PDG d’A3 Distrib

Globalement, 2004 a encore été une année de surenchère. En matière de prospectus, il en va ainsi, de toutes façons, depuis une décennie. L’an dernier, les enseignes ont vraiment utilisé tous les leviers de croissance pour accroître la pression publi-promotionnelle. Elles ont édité plus de prospectus, valables pendant plus longtemps, elles y ont mis plus de produits (notamment du non-alimentaire) et les parcs de magasins étaient davantage impliqués. Les opérations nationales, par exemple, ont pris de l’ampleur, donnant plus de « surface commerciale » aux catalogues.
Mais, surtout, 2004 a consacré les avantages consommateurs cumulés. Bons d’achat, bons de réduction, offres de remboursement, etc. peuvent cohabiter sur une même référence. En la matière, Leclerc fait figure de champion de France. Dans quelques-uns de ses prospectus, les clients pouvaient récupérer jusqu’à 125 % ou 150 % de la valeur de certains articles ! Aujourd’hui, l’enseigne est quasiment arrivée à saturation et la concurrence s’est calée sur cette stratégie. Au point que Leclerc va devoir trouver autre chose pour se différencier. Probablement dès cette année.

A3 Distrib est une société spécialisée dans les relevés d’offre et l’étude des prospectus. Elle organise le 31 mars une convention annuelle « bilan 2004 / tendances 2005 » (renseignements sur www.lesprospectus.com ou au 02 41 46 33 00).

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