Aviez-vous songé à l’expatriation ?

Quelles sont les opportunités ?
Sur le papier, la grande distribution est l’un des secteurs les plus attrayants pour des candidats à l’expatriation. Les enseignes alimentaires françaises sont représentées dans plus de 40 pays dans le monde (Europe, Amériques, Asie, Océanie, Afrique du Nord), dont une quinzaine de pays en Europe (du Portugal à la Russie en passant par le Luxembourg, la Slovénie ou la Serbie). Reste que les postes à pourvoir ne sont pas légion. Pour plusieurs raisons. L’heure n’est plus à la conquête débridée de nouveaux pays. Les enseignes privilégient avant tout la densification du réseau dans les pays où elles occupent une place de choix, quitte à sacrifier les autres. A l’image de Carrefour, qui vient d’annoncer son retrait de République tchèque et de Slovaquie, après son départ du Mexique et du Japon. Pour limiter les coûts liés à l’expatriation et « coller » au marché local, les enseignes préfèrent aussi former - souvent en France - des cadres issus des pays concernés. Un exemple, pour sa filiale roumaine qui compte 4 hypermarchés Carrefour, Hyparlo a volontairement limité à 15 le nombre de ses expatriés. Ses deux derniers magasins ont été ouverts avec des effectifs 100 % roumains, directeur du magasin inclus.

Quelle est la différence entre le statut « d’expatrié » et celui de « détaché » ?
Elle concerne essentiellement l’assujettissement ou non au régime général de la sécurité sociale française. Alors que le détaché en bénéficie, comme un salarié français, l’expatrié, en revanche, relève du régime du pays concerné. Il lui est toutefois possible de cotiser volontairement à la sécurité sociale française, notamment par l’intermédiaire de la Caisse des Français à l’étranger. A noter que le choix du statut appartient à l’employeur.

A poste équivalent, la rémunération est-elle la même qu’en France ?

Tout dépend du distributeur et du pays concerné. Le principe de base consiste effectivement à garantir un même niveau de revenu en octroyant à l’expatrié une indemnité compensatoire qui vient s’ajouter à la rémunération de base, calculée sur les grilles de salaires du pays concerné. A cela s’ajoute la prime d’expatriation, variable selon l’éloignement et le risque afférant au pays. Généralement, le loyer est pris en charge par l’employeur.

Quelles sont les alternatives pour les jeunes diplômés ?
Outre le stage - à titre d’exemple, Carrefour propose des stages de 3 à 12 mois en Belgique, en Espagne, en Grèce et en Pologne - les jeunes de 18 à 28 ans peuvent postuler au VIE (Volontariat International en Entreprise). Il s’agit de l’ex-Coopération, toilettée depuis la réforme du Service national. Pour les entreprises, c’est une alternative bien plus attrayante financièrement que l’expatriation. La rémunération, forfaitaire - exonérée de charges sociales et d’impôt sur le revenu - varie entre 1 100 € et 2 900 € nets mensuels (1 330 € pour l’Argentine, 1 701 € pour Taiwan). Réservé aux étudiants, aux chômeurs ou aux jeunes diplômés exerçant déjà une activité, le VIE peut s’étaler sur une période de 6 à 24 mois, renouvelable une fois. Autre condition requise : un casier judiciaire vierge.
Parmi les adeptes du VIE, Interex, la filiale d’Intemarché dans les Balkans, dirigée par Jean-François Le Roch. Lors d’un colloque organisé fin 2004 au Sénat, le fils du fondateur des Mousquetaires précisait les contours de sa politique de recrutement : « Nous avons systématiquement recours aux ressources humaines locales. Les coûts sont moins élevés. Par ailleurs, toujours au plan local, nous disposons de pléthore de personnes surqualifiées. A Sarajevo, touts nos caissières sont bilingues et certaines sont quadrilingues (…). Je précise toutefois que, dans le cadre de notre cellule d’audit, nous faisons un recours massif aux VIE. Dans le secteur de l’audit, il importe d’avoir une langue et une culture communes. Cette expérience est un véritable tremplin pour l’expatriation. »

Pour plus de renseignements :
- , le site de la maison des Français à l’étranger, sous tutelle du Ministère des affaires étrangères.
- , le site du service public d’emploi à l’international.

Témoignage

Eric Blondeau, directeur général de Mosmart (4 hypers en Russie)
Ex-Bongrain passé par Carrefour Pologne, Eric Blondeau dirige aujourd’hui Mosmart, une chaîne russe d’hypermarchés qui compte trois magasins à Moscou et un à Krasnodar (cf. Linéaires n° 208, novembre 2005). Il décrypte les conditions d’une expatriation réussie et évoque son programme de recrutement d’expatriés.

Une première expatriation peut être un choc. Aviez-vous été bien préparé par Carrefour avant votre départ en Pologne : stage sur l’expatriation, formation succincte au polonais, voyage préparatoire, rencontre de cadres Carrefour polonais, etc. ?
E. B. : Carrefour avait mis en place un système performant de préparation à l’expatriation qui consistait à pouvoir aller, accompagné de son épouse, découvrir le pays et l’équipe en place, avant d’être amené à prendre une décision. Une fois sur place, il était proposé des stages de découvertes culturelles qui consistaient a passer « une semaine chez l’habitant » pour mieux comprendre la réalité quotidienne des Polonais, et notamment le contenu de leur réfrigérateur. Cette découverte pragmatique des réalités locales valait mieux que tous les discours marketing sur le sujet. Par ailleurs, des cours de langue et les visites des différents sites du groupe, complétaient le dispositif.

Avec le recul, quelles sont selon vous les erreurs à éviter au cours des premiers mois d’une expatriation ?
E. B. : Il faut démystifier l’obstacle de la langue, ne pas se focaliser sur le fait qu’il faudra des années pour la maîtriser. L’objectif n’est pas d’en acquérir l’ensemble des finesses sémantiques et grammaticales. Attention néanmoins, l’expérience montre que les parcours les plus réussis sont ceux d’expatriés qui ont cherché dès le début de l’expatriation à se familiariser avec la langue. Quoi de plus frustrant que de ne pas pouvoir répondre et, pire encore, ne pas comprendre ce que souhaite vous exprimer un client qui vous interpelle en surface de vente ! La non maîtrise, même basique, de la langue crée une barrière et peut amener à des ruptures avec les équipes locales et les clients.

Vous avez été en charge des ressources humaines chez Carrefour Pologne. Quelles étaient à l'époque les qualités que vous estimiez nécessaires pour recruter un expatrié ?
E. B. : Les principales qualités recherchées étaient la volonté de vivre une expérience à l’étranger, la compétence métier pour la fonction, et la capacité à transmettre son savoir en se comportant comme un coach.

Quelles sont les principales causes d’échec dans l’expatriation?
E. B. : Elles sont de trois natures : le refus de s’ouvrir à la culture locale et ses spécificités, l’incapacité ou le renoncement à transmettre son savoir et faire soi-même au lieu de faire faire, et enfin la perte d’équilibre du couple par manque d’intégration de la cellule familiale dans le pays d’accueil.

Pour des raisons financières mais aussi pour « coller » aux réalités du terrain, est-il préférable de former des cadres locaux plutôt que d’avoir recours à des expatriés ?
E. B. : Oui, sans aucun doute, et sur ce point les distributeurs français pêchent lourdement par leur incapacité à retirer rapidement les expatriés de la première vague. Inlassablement, le scénario se répète encore de nos jours de la façon suivante :
a) Dès l’ouverture du pays, des profils locaux de bon niveau sont recrutés à des salaires dans la fourchette haute du marché. La structure est encore réduite et les comptes d’exploitation ne sont pas encore examinés trop scrupuleusement puisque les magasins ne sont pas ouverts.
b) Cette première vague de futurs top managers locaux s’entend promettre monts et merveilles. Puis, à mesure que les choses sérieuses approchent, à savoir les premières ouvertures, tous les motifs sont bons pour se convaincre que seuls des top managers français expérimentés seront à même de permettre à l’enseigne de remporter ses lauriers de gloire en terre « ennemie ».
c) Résultat, les années passent, « les Français parlent aux Français » et les hauts potentiels locaux comprennent que leur nationalité sera toujours un handicap dans leur société et s’en vont.
d) Cette première hémorragie passée, le distributeur prend la résolution déterminée de promouvoir les cadres locaux, mais les salaires des futures recrues sont déjà plus modestes et proches du milieu ou bas de fourchette. Et l’on découvre alors que ces nouveaux talents vont nécessiter de longs efforts de formation. Ce scénario infernal « made in France » double le temps et assurément le coût de démarrage d’un nouveau pays. La clef de la réussite, on la trouve chez les Américains, les Anglais ou les Allemands qui, dès la phase préliminaire, identifient et recrutent des talents locaux. Ils ouvrent ensuite le pays avec une forte équipe d’expatriés, mais dont la mission est de coacher et de former leurs remplaçants déjà identifiés, afin de se retirer quasi totalement au cours de trois premières années, à l’exception de certains postes clés.

Quels sont alors les postes de prédilection pour un expatrié ?
E. B. : A l’ouverture d’un nouveau pays, la liste est longue, avec pratiquement toutes les fonctions d’encadrement, mais rapidement, dix à quinze expatriés peuvent suffire pour animer les directions Pays, Exploitation et Financière, là où on en compte plus du triple en général.

En Russie, après Moscou, Mosmart se développe maintenant en Province, dans l’Oural et en Sibérie notamment. Quel est le profil des expatriés que vous recherchez pour accompagner cet essor ?
E. B. : Nous nous focalisons sur la personnalité du candidat et sa propension à partager nos valeurs. Ensuite l’expérience d’un pays d’Europe centrale ou orientale est un avantage certain pour mieux comprendre la réalité de la Russie d’aujourd'hui. Par ailleurs, il est vital que la personne ait la capacité de coacher et de transmettre son savoir et qu’elle souhaite apprendre le russe.

Quel type de poste pouvez-vous confier à un expatrié : management d’une équipe en magasin, suivi du réseau, formation des directeurs ou des chefs de rayon, etc. ?
E. B. : Nous avons trois types de postes à pourvoir. D’abord des directeurs de magasins pour pouvoir mener à bien notre plan d’ouverture de cinq à six hypermarchés par an. Nous recherchons ensuite des spécialistes du développement des ventes alimentaire et non alimentaire et enfin, un responsable du suivi de notre réseau de franchise, qui compte deux partenaires à fin 2005, avec une ouverture en septembre 2006 et une seconde en décembre 2006*.

Quel niveau de salaire proposez-vous aux expatriés, à poste équivalent ?
E. B. : Nous réalisons des études de rémunération spécifiques pour chaque candidat, mais dans les grandes lignes, la progression de salaire en net net serait de 40 à 50 % par rapport à un poste équivalent en France.

Propos recueillis par F. C.-L.

* Les personnes intéressées peuvent adresser leur CV à l’adresse e-mail suivante :

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